vendredi 17 juin 2011

"Ceci tuera cela"

Cette phrase se trouve dans Notre-Dame de Paris, lorsque l'archidiacre Dom Claude Frollo envisage gravement le développement à venir de l'imprimerie qui remplacera les lettres de marbres et les pages de granit de la belle cathédrale. Victor Hugo affirme que

jusqu'à Gutemberg, l'architecture est l'écriture principale, l'écriture universelle.
Mais voilà qu'au XVe siècle
la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d'expression, que l'idée capitale de chaque génération ne s'écrirait plus avec la même matière et de la même façon, que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. (...)
Le livre va tuer l'édifice.
L'invention de l'imprimerie est le plus grand évènement de l'histoire. C'est la révolution mère. C'est le mode d'expression de l'humanité qui se renouvelle totalement, c'est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre (...).

Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; elle est volatile, insaisissable, indestructible. Elle se mêle à l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait montagne et s'emparait puissamment d'un siècle et d'un lieu. Maintenant, elle se fait troupe d'oiseaux, s'éparpille aux quatre vents, et occupe à la fois tous les points de l'air et de l'espace.

Que dirait Victor Hugo devant un ordinateur ?
Que penserait-il du rôle de Facebook et autres Twitter dans les mouvements révolutionnaires du Proche Orient (par exemple) ?
Si l'imprimerie a tué l'architecture, que va faire le i-Pad tout neuf du Grand Chêne à la bibliothèque de Myosotis ?

mercredi 8 juin 2011

Oiseaux

La belle saison ne met plus d'obstacle à leurs activités incessantes. Du matin au soir, ils occupent l'espace de leurs vols et de leurs chants. Si nombreux, si vifs, si gracieux... On les plaignait, cet hiver, mais à présent on se réjouit pour eux, depuis qu'ils annoncent et animent le printemps. Et on les suit du regard dans le ciel bleu, en rêvant de paix et de liberté. Pourtant...

Pourtant, à bien y regarder... Ils ont des ailes... Mais pas de bras. Aucun moyen d'étreindre ou d'embrasser, pas de main à tendre ou à refermer, ni don ni échange possible par ce moyen-là. Et leurs ailes qui battent dans l'immense effort de se maintenir en l'air semblent tendues comme des mécaniques. La souplesse et la grâce de leur vol, c'est un cadeau qui vient après, quand le décollage réussi les livre aux caprices du vent. Ils savent lutter, planer, se jouer des courants, mais au prix d'une tension sans relâche ; comme des danseurs, dont les efforts et la souffrance quotidienne finissent par donner naissance à la beauté.

Loin de nos rêves de liberté, c'est le mouvement constant de leurs ailes qui les propulse vers les moyens de leur survie : nourriture, nidification, reproduction. Et à la pointe de toutes leurs actions : leur bec dur et pointu, outil et masque. Pas de bouche, pas de lèvres, pas de joues. Et finalement pas de visage, mais une sorte de casque fiché près de l'oeil rond, qui pour bien voir doit être braqué dans la bonne direction par un mouvement de toute la tête. Leur cou souple garni de petites plumes se plie à toutes les nécessités ; ils sont toujours aux aguets, deçà, delà, prêts à s'enfuir, à piquer, à béqueter, à fondre sur la proie ou sur la graine. Béqueter, bécoter, mais pas donner des baisers, ni en recevoir.

Ils travaillent dès le point du jour pour bâtir leurs nids, dans chaque recoin où ils sentent que leurs oeufs seront à l'abri : au creux des branches, sous le rebord des toits, dans les poteaux métalliques qui portent la signalisation des carrefours... Et ils "recyclent" toute sorte de matériaux qu'ils entrelacent finement, à l'aide de leur bec toujours. Quant à leurs pattes, pas même sensibles au courant des fils électriques, ce sont des outils pour gratter, pour s'agripper, se tenir en équilibre. Au mieux, elles leurs permettent de sautiller ou de courir d'une manière comique. Pour les plus grands oiseaux, on sait bien que leurs ailes de géant les empêchent d'user de leurs pattes... Baguettes dérisoires, recroquevillées sous leur corps apparemment dodu sous le duvet gonflé, mais si léger quand la vie l'abandonne.

Restent leurs chants, aussi variés que leurs plumages, souvent bien plus beaux. Doux appel ou fiévreuse proclamation, trille suave ou refrain rythmé, du fond de leur gorge palpitante c'est tout un monde qui retentit et nous touche profondément. Même les cris rauques des oiseaux les moins mélodieux peuvent prendre à nos oreilles l'importance d'un signe, d'un appel... Tout cela nous dépasse, nous intrigue, nous ravit. Seule compensation à leur chétive existence, qui semblerait sans cela essentiellement faite de dureté et de tension, leur chant est peut-être la véritable liberté des oiseaux. Encore les fait-on parfois chanter dans une cage...