samedi 19 mars 2022

Faut-il oublier les cicadas ?

 C'était l'année dernière. En guise de printemps, on assistait au réveil de millions de gros insectes patauds (incapables de se mouvoir rapidement, de se remettre d'aplomb ou de se protéger) qui avaient attendu 17 ans le moment de voir le jour.

Ils sortaient des terrains qui n'avaient pas été trop bouleversés, au pied des vieux arbres et des poteaux, et ils changeaient de peau avant de grimper vers les plus hautes branches. 

Beaucoup n'y parvenaient pas et leurs carcasses accumulées formaient des paquets malodorants qui craquaient sous les pas et sous les roues des voitures.

Beaucoup y parvenaient, voletaient entre les branches et se mettaient à chanter, en si grand nombre (c'était leur seul atout) que c'en était assourdissant (vraiment). 

Tout cela a duré environ 6 semaines, le temps de leurs amours. Les larves ainsi engendrées sont descendues à leur tour vers les profondeurs s'enfouir pour 17 ans.

Ces insectes ont laissé des traces. En automne, bien des arbres ont perdu avec leurs feuilles nombre de branchettes dont l'écorce avait été ouverte (les cicacadas se nourrissent de la sève des branches les plus tendres, et leurs larves font de même, le long des troncs, en descendant vers la terre). Certains arbres sont morts.

 


Par endroits, le sol présente encore les trous bien ronds laissés par leur sortie

Des exosquelettes que l'hiver n'a pu emporter sont restés accrochés partout. 

Un nuage de sauterelles aurait fait bien pire, on ne peut pas se plaindre. Il y a sans doute un équilibre général auquel les cicadas participent à leur manière, même si leur présence est désagréable pour nous. Les oiseaux, les écureuils et d'autres prédateurs comblés pourraient témoigner en faveur des cicadas.

 Mais le temps de les oublier, de ne plus penser à ce qui dort sous nos pieds, à quoi serons-nous occupés dans 17 ans, en 2038 ?

Tant de choses que l'on croit oubliées, enterrées, ne le sont pas vraiment... C'est ainsi que se conclut La Peste de Camus, avec les réflexions amères du narrateur qui ne peut partager l'euphorie de ses concitoyens :

Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.