vendredi 14 juillet 2017

Pour le bien de la cause

C'est le titre d'un récit de Soljénitsyne publié en France en 1970 avec la Maison de Matriona.
Dans Pour le bien de la cause, l'auteur met en scène un collège technique : les professeurs, les membres de l'administration, les élèves (des plus jeunes aux plus âgés). Tous espèrent obtenir enfin de meilleures conditions de travail dans un bâtiment neuf, et lorsque le chantier prend trop de retard, ils y consacrent bénévolement leurs soirées, leurs jours de congé et leurs vacances...
Après tant d'efforts, on assiste cependant à l'arrivée d'un cadre du Parti qui décide de s'attribuer le bâtiment flambant neuf pour y fonder un Institut technique sans rapports avec le collège, mais présenté comme une priorité prestigieuse pour la ville. Et le directeur du collège voit le Directeur du nouvel Institut faire déplacer la barrière entre les deux bâtiments, pour gagner de l'espace de son côté, réduisant les collégiens à perdre jusqu'à leur espace de récréation...
Toutes proportions gardées, une récente mésaventure a réveillé le souvenir poignant de ce récit dans le coeur de Myosotis. C'est peut-être ça la première erreur : Myosotis a mis tout son coeur dans le classement et la rénovation du Cabinet de Littérature au Lycée français.
Lors de sa précédente expérience (6 ans auparavant), elle avait trié du sol au plafond les paquets de livres restés agglutinés à la suite d'un dégât des eaux à l'étage supérieur. Puis on avait mis au travail des élèves volontaires pour un inventaire des collections. C'était déjà bien mieux.
Cette fois, Myosotis a classé les ressources documentaires, dédoublé les manuels offerts à titre de spécimens, complété les collections avec ce qu'elle trouvait ici et là dans le fond des armoires, triés les obsolètes et sauvé les trésors classiques qui ne trouvaient plus leur place au CDI. (Les documentalistes doivent s'en tenir à l'usuel, à l'actuel, et elles ne peuvent repousser les murs pour garder ce qui n'est plus à la mode.)
À force de réitérer ses demandes, Myosotis a obtenu que le vieux mobilier (2 armoires métalliques branlantes et un bureau antédiluvien) soit remplacé par une jolie table ronde et 2 petites étagères blanches. Il a même été possible de faire graver sur une plaque de plastique bleu identique à celles des numéros de salles du couloir, le nom de ce cabinet.
 On s'est avisé alors que le sol en était couvert de dalles avec amiante, le reste du bâtiment ayant été désamianté, mais personne n'était venu voir derrière cette porte s'il fallait faire quelque chose. Alors Myosotis a rangé tout les livres dans les grandes étagères fixes, le joli mobilier neuf a été placé dans le couloir, le désamiantage a commencé juste après la fin des cours.
Pour voir s'il était déjà possible de réinstaller les chers volumes, Myosotis est allée faire un tour au Lycée français. Les travaux avaient un peu de retard, pas moyen d'accéder au cabinet encore tout ensaché... Alors elle est allée arroser la plante en salle des profs et embrasser la gentille secrétaire qui triait ses gros dossiers... Au passage, elle a salué le directeur pédagogique et échangé quelques mots avec lui...
"Le cabinet de littérature ? Va falloir que je le prenne... Je vais en faire un bureau... Pour la vie scolaire... J'ai pas assez de salles de classes... Je suis allé voir dedans... Vous avez un bel espace, hein... !"
Ce fut comme un arrachement. La sensation de perdre quelque chose de précieux. La certitude soudaine que personne n'accorde au contenu de ce cabinet l'importance qu'il a vraiment.
Incrédule, Myosotis a fait bonne figure. Ils feront ce qu'ils voudront.
Il était temps qu'elle comprenne où est vraiment son Trésor.

2 commentaires:

Adrienne a dit…

je comprends ta tristesse... ton sentiment d'impuissance, d'injustice...
et puis après ça, c'est vrai, il faut se concentrer sur autre chose, sur du positif et de l'essentiel

Corinne a dit…

Cours revus à la baisse, investissement pas reconnu… ton établissement ne semble pas accorder une grande importance aux langues anciennes. C'est déjà dur à faire vivre en France, mais en Amérique du nord, dans un établissement où l'on raisonne au prestige et à l'argent, j'imagine que c'est bien pire. je comprends ton dépit, c'est un crève-coeur.