lundi 29 juin 2020

Du bon usage des informations

S'informer en regardant le journal télévisé peut devenir accablant (ou bien irritant, ou les deux). Si l'on est un peu fragile ou déprimé, il faut éviter ces séances qui n'informent pas vraiment, mais nous imprègnent de toute la misère du monde. Et ce n'est plus tout à fait une boutade d'humoriste : si vous ne vous sentez pas bien, surtout ne regardez pas les nouvelles...
Est-ce mieux à la radio ? Est-ce plus sérieux sur Internet, si l'on connaît des sources dignes de foi ?
Comment être informé de façon satisfaisante ?
Dans un article publié dans le Figaro en 1907, Marcel Proust offre une étonnante perspective sur le sujet. Pour lui, "jeter un regard" sur son quotidien revient à

procéder à cet acte abominable et voluptueux qui s'appelle lire le journal et grâce auquel tous les malheurs et les cataclysmes de l'univers pendant les dernières vingt-quatre heures, les batailles qui ont coûté la vie à cinquante mille hommes, les crimes, les grèves, les banqueroutes, les incendies, les empoisonnements, les suicides, les divorces, les cruelles émotions de l'homme d'État et de l'acteur, transmués pour notre usage personnel à nous qui n'y sommes pas intéressés, en un régal matinal, s'associent excellemment d'une façon particulièrement excitante et tonique, à l'ingestion recommandée de quelques gorgées de café au lait.
 Est-ce le fruit du pouvoir bienfaisant de la chose écrite (moins traumatisante que les images de feu et de sang), est-ce un trait caractéristique de la psychologie masculine (l'homme, son fauteuil et son journal étant liés dans les représentations traditionnelles) ou bien ce goût est-il propre à l'auteur  de ces lignes ?
Il continue son analyse, avec une ironie qui n'empêche pas l'efficacité :
dès les premières nouvelles sensationnelles où la douleur de tant d'êtres "entre comme élément", ces nouvelles sensationnelles que nous aurons tant de plaisir à communiquer tout à l'heure à ceux qui n'ont pas encore lu le journal, on se sent soudain allègrement rattaché à l'existence qui, au premier instant du réveil, nous paraissait bien inutile à ressaisir.
Comment se fait-il que ce goût de vivre et cette excitation manquent si cruellement de nos jours, lorsqu'on parvient à échapper au journal télévisé pour retourner à nos affaires ?

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