jeudi 7 mai 2009

A quoi bon vivre au mois de mai

Depuis des années, La Mise à mort (édition de poche déjà jaunie) d'Aragon figure en haut de la bibliothèque de Myosotis (ordre alphabétique exige). C'est un peu le déménagement de novembre qui a poussé le petit volume hors de sa place et qui en a fait le compagnon de route des longues semaines de cartons et de déballage... Une page de temps en temps, et encore une rencontre fulgurante avec un grand du XXe siècle, aussi talentueux que déroutant.
Dans La Mise à mort, Aragon réfléchit sur la nature de la littérature, embrouille le lecteur, s'amuse à esquisser des histoires et à se moquer de lui-même (entre autres choses)... Puis donne ici ou là un joyau à admirer, et c'est un éblouissement :

CHANSON

Que sais-tu des plus simples choses
Les jours sont des soleils grimés
De quoi la nuit rêvent les roses
Tous les feux s'en vont en fumée
Que sais-tu du malheur d'aimer

Je t'ai cherchée au bout des chambres
Où la lampe était allumée
Nos pas n'y sonnaient pas ensemble
Ni nos bras sur nous refermés
Que sais-tu du malheur d'aimer

Je t'ai cherchée à la fenêtre
Les parcs sont en vain parfumés
Où peux-tu où peux-tu bien être
A quoi bon vivre au mois de mai
Que sais-tu du malheur d'aimer

De cette lente et longue attente
Où n'est vivre qu'à te nommer
Dieu toujours même et différente
Et de tout moi seul à blâmer
Que sais-tu du malheur d'aimer

Mon coeur m'oublie et je demeure
Comme le rameur sans ramer
N'écoutant que de toi clameur
N'étant que du temps consumé
Connais-tu le malheur d'aimer

En voilà un qui sait parler d'amour, en se jouant des mots et de la syntaxe, en se jouant de tout, excepté de celle à qui il voue les sentiments dont il submerge au passage le lecteur (la lectrice ?) enchanté(e)...
Et voilà qu'il fait bon vivre au mois de mai, malgré la pluie...

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